Mettre à corps n’est pas anodin… La collection Tila vue par deux historiens d’art, spécialistes du bijou
Porter sur soi ce qui se met au mur, sur un socle, change les paradigmes.
Dans son admiration pour la culture africaine, Valérie Bui partage mythes et matériaux sur des bijoux totems. Elle leur redonne du sens, leur apporte le mystère de la matière. Des perles authentiques, sélectionnées pour leur histoire, lient le passé au présent et fertilisent le bijou ainsi créé. Elle active l’objet par ce transfert qui s’enracine dans une véritable connaissance par-delà l’attrait esthétique. L’intention est d’ancrer son talisman, son porte-bonheur, sur une tradition rendue vivante. Le bijou en est perçu dans l’aura de la culture qui l’entoure. Cette perception est d’autant plus vivace qu’elle le met en scène, le présente lors d’expositions en résonance avec des fétiches anciens. Il n’y a plus d’innocence à porter, l’objet et le corps sont activés.
Collectées depuis vingt ans, les perles anciennes sont devenues signature. Valérie Bui leur adjoint les symboles de transhumances métaphysiques : la perruche est intercesseur par son don de la parole, le martin-pêcheur est navigateur entre deux mondes, entre les airs et les eaux. Réduits à leurs seuls crânes, la qualité de fabrication et l’intention transcendent le bijou. Et dans ce pouvoir donné, la bague se voit confier vos secrets ; Valérie Bui suit un rituel, clôt le bec d’un cadenas, oblige l’oiseau à conserver le vœu jusqu’à ce qu’il s’exauce et que la magie opère. Dans la tradition africaine, la sculpture verrouillée par des cadenas se nomme d’un ordre : « ferme ta gueule ! ».
Être à corps vous met en écho, en « pénétrance » et donne de la force dans cette légèreté de l’habitude, de la quotidienneté du porté. Le corps devient partenaire dans cette projection. Emportant dans la référence à l’objet passé son imaginaire et le sens que chacun y place, il en active la mémoire : de rapportée, elle devient personnelle. La puissance des bijoux de Valérie Bui est d’in-corporer cette intemporalité, de mettre en connexion avec nous-même, nos angoisses, nos peurs et nos espoirs, dans ce qui est vital : l’énergie.
Michèle Heuzé
Historienne du bijou
Le bijou et le vaudou : une inspiration fascinante
Évocation d’un souvenir, d’un rêve, d’un voyage, porter un bijou n’est jamais anodin. Grâce à leurs parures, les peuples du Monde nous parlent de leur culture et de leurs croyances. Dans la collection de Valérie Bui, c’est l’univers vaudou qui est mis en lumière, au moyen de citations visuelles et de symboles à découvrir ou redécouvrir. Le crâne d’un martin-pêcheur ou bien celui d’une perruche deviennent précieux par le travail de l’argent, l’un des métaux dont l’histoire a reconnu la valeur depuis des millénaires. Leurs becs se retrouvent parfois maintenus par une chaîne ou fermés par un cadenas… une façon de garder pour soi un vœu ou un secret que le bijou renfermerait, comme le font les féticheurs du monde vaudou. S’ajoute, ici ou là, une ancienne perle de verre, façonnée par les célèbres maîtres verriers vénitiens, artisans qui officient dans la lagune depuis des centaines d’année, sur l’île de Murano, et dont les morceaux de verre colorés voyageaient jusqu’en Afrique durant les siècles passés.
Tous ces éléments, porteurs de sens, sont montés sur des lignes pures et simples : de fines chaînes d’argent supportent la charge presque magique de ce que Valérie Bui appelle ses « bijoux fétiches ». Si le crâne du martin-pêcheur se pose en toute délicatesse sur une manchette de structure géométrique, c’est comme pour mieux faire ressortir la valeur du message qu’il soutient.
Présentés conjointement avec une galerie d’art africain, ces bijoux nous rappellent qu’un ornement s’inscrit dans une histoire, celle de la culture qui l’a créé ou l’a inspiré, mais également celle de la personne qui le portera et lui donnera peut-être un sens tout autre. Une confrontation entre Art vaudou ancien et joyaux contemporains qui nous force avec bonheur à redéfinir ce qu’est le bijou, chargé de symboles complexes et fascinants, gardant même une part de mystère.